MONASTÈRE SAINTE-CLAIRE

Les Clarisses à Ronchamp

 
 
 
 
 
 
 

Un monastère au XXIe siècle

 

 

 

 

 

Soeur Brigitte et Renzo Piano

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Visite du chantier

 

 

 

 

Dessin de Renzo Piano

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mgr Lacrampe et soeur Brigitte 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

8 septembre 2011: bénédiction du monastère

Quand un architecte rencontre une clarisse

Une histoire rare, celle de la rencontre improbable de deux mondes apparemment distants l’un de l’autre, celui de l’architecture et celui de la contemplation.

L’architecture, autant vous dire que malgré six années de compagnon-nage avec des architectes chevronnés, de renommée mondiale, etc. je n’y connais rien. Mais ce que j’ai perçu, c’est qu’ils travaillent la matière, ils travaillent avec la matière, quelque chose de concret, de réel, de lourd ou de léger, mais quelque chose que les yeux voient, que les mains peuvent toucher, que l’odorat peut sentir et même que les oreilles peuvent entendre vivre. Sur la colline de Bourlémont, il n’y a que du béton, du verre, du bois, des matières nobles et naturelles. 

 

En parallèle, la contemplation, c’est immatériel. Considérer l’acte de contempler comme uniquement un regard sur ce qui existe c’est le ré-duire à la partie visible d’un iceberg. La partie immergée de la con-templation se trouve dans le coeur de chacun, dans un océan de sen-timents. C’est cette contemplation qui va rencontrer l’architecture. Comment cette contemplation invisible, impalpable, a-t-elle pu ren-contrer, dialoguer avec l’architecture ? Comment deux langages aussi opposés peuvent-ils, d’abord se comprendre, puis travailler ensemble à la création d’un être vivant ? 

 

Le socle, les fondements, les racines de cette aventure, ont été posés à partir d’un enthousiasme commun, avec sans doute des objectifs dif-férents au départ, mais sûrement la même force d’enthousiasme. Pour nous, les clarisses, il s’agissait d’habiter un lieu qui soit porteur de la vie divine. Pour les architectes, il y avait une sorte de challenge, de pari, à sortir des chantiers habituels de ville, de ponts, de musées, de tours, etc. pour créer une micro réalisation portant un sens spirituel. 

 

Ainsi l’utopie chrétienne, celle qui consiste à croire que l’homme n’est pas un loup pour l’homme, que l’amour du frère est plus important que la monnaie sonnante et trébuchante dans votre poche, que la Création n’est pas faite pour être détruite mais pour être vécue en fraternité avec l’homme, se devait de rencontrer le génie, la créativité, la fougue de l’architecte.

 

Très vite il m’est apparu qu’une passerelle existait entre ces deux mondes, qu’elle s’appelait service.

 

Je crois que le contemplatif et l’architecte ont une mission commune : le service de l’homme, même s’ils empruntent des chemins différents. 

 

Lors de ma première rencontre avec Renzo Piano, Paul Vincent et Philippe Goubet, après avoir visité l’Atelier de la rue des archives, bourrés de maquettes extraordinaires représentant des tours, des quartiers, des ponts, des musées, etc. je me suis vraiment interrogée sur le pourquoi un tel architecte accepterait de réaliser un micro projet qui ne correspondait en rien à tout ce que je voyais. J’ai eu la réponse dès le premier jour. A cette question, Renzo Piano m’a dit : « Les architectes, eux aussi, ont droit de se ressourcer ». Ainsi notre langage pouvait rencontrer leur langage, nous pouvions nous comprendre. Il s’agissait maintenant de trouver un dictionnaire bilingue, d’apprendre mutuellement le langage de l’autre.

 

Il fallait donc trouver un élément commun dans les deux langages. 

L’enthousiasme a surgi, comme un geyser. 

 

Aussi bien architecturalement que spirituellement, il faut croire à ce qu’on fait, y croire au point de mettre toute la vie qui coule dans nos veines et dans notre coeur, au service d’une oeuvre. La force de l’enthousiasme, socle du projet, n’a rien à voir avec les tonnes de béton qui ont été coulées pour arrimer le bâtiment à la colline. C’est une force qui n’a rien de matériel. Cet enthousiasme qui relaie la vie, nous les clarisses nous lui donnons le nom d’espérance. Pas des petits espoirs à la petite semaine, mais l’espérance vraie, celle qui donne la vie à cha-cun, simplement qui donne du sens à la vie. Pour l’architecte, la beauté de son oeuvre est à la mesure de son enthousiasme. Et le monastère Sainte-Claire de Ronchamp est vraiment très beau. 

 

Pendant ces six années, j’ai énormément appris en regardant travailler. Et j’ai appris, pas d’abord dans le domaine de l’architecture, mais sur-tout dans le domaine relationnel. Chez Renzo Piano et son équipe, il y avait toujours une écoute de l’autre, aussi bien des clarisses que des différents corps de métiers.

 

Album : Chantier du monastere (10 photos)
janvier 2010

janvier 2010

décembre 2010

décembre 2010

mars 2011

mars 2011

mars 2011

mars 2011

mai 2011

mai 2011

mai 2011

mai 2011

juillet 2011

juillet 2011

mai 211

mai 211

juillet 2011

juillet 2011

juillet 2011

juillet 2011

 

A mon grand étonnement, j’ai découvert que le travail d’architecte était un travail d’équipe, depuis la conception jusqu’à la réalisation. Et ce lan-gage architectural que je croyais univoque, devenait devant mes yeux le travail et la réussite de toute une foule d’hommes et de femmes connus ou inconnus. Ainsi le langage de l’architecte devenait celui du chef d’orchestre, exécutant une oeuvre philharmonique de toute beauté à laquelle le contemplatif pouvait communier car c’est le même langage : dire l’invisible par la beauté. 

 

Après l’extraordinaire enthousiasme des débuts arrive le moment des attaques.

 

Il nous faudra apprivoiser notre colère, non pas utiliser la méthode Coué et faire comme si cela n’existait pas. Mais en faire notre amie, notre allié, tout en la gardant pleine et entière. La colère n’est plus un ennemi supplémentaire, mais un atout, si nous savons lui faire donner ce qu’elle a de meilleur. La période d’enthousiasme aura signé une alliance, une amitié, indéfectible. Nos deux colères vont jouer le même rôle et s’unir, emboîtant le pas de l’enthousiasme. La colère de l’architecte n’est pas celle du contemplatif, mais elles peuvent travailler ensemble car les deux ont le même objectif : se mettre au service de l’homme et de son humanité. 

 

La colère de l’architecte aura d’autres répercussions : C’est son oeuvre, et donc son enfant, qui est directement attaqué. Malgré quelques débats houleux et mémorables, il saura apprivoiser sa colère, en faire son amie : c’est elle qui le conduira à regarder son projet d’un autre oeil, à intérioriser de façon remarquable son génie créatif et à produire un pro-jet qui touche à la perfection, à la perfection de la beauté. C’est son enfant qu’il veut sauver, mais pas uniquement. Il lui faut sauver le monastère qui représente bien plus qu’un bâtiment, aussi beau soit-il. Il me semble que l’architecte a voulu sauver le sens, la signification de ce qu’est un monastère. Depuis le début, il a cru que la présence d’une communauté de prière dans un lieu beau et emblématique était indis-pensable à l’équilibre spirituel des hommes, à leur ressourcement. Mais la beauté coûte cher, très cher, et, malheureusement, elle est un de ces chemins trop peu exploités, trop peu défrichés, qui conduisent à l'inté-riorisation, à l’invisible et dont, pourtant, il ne faut pas se priver. Priver l’homme de beauté, c’est le réduire à être un consommateur et l’homme n’est pas d’abord un consommateur, mais d’abord un être spirituel, quelqu’un qui a un esprit et une âme. 

 

Au milieu de toutes ces tempêtes, il faudra continuer le travail dans l’espérance. L’espérance, c’est toujours l’écriture de l’invisible par le contemplatif. Cette espérance, c’est de croire en l’homme. Parfois, cette espérance est enfouie sous des tonnes de gravats en tous genres, mais elle vit car elle ne peut pas mourir. Cette espérance, qui paraît inhabi-tuelle ou extraordinaire à beaucoup, c’est elle qui permet au con-templatif de continuer la route, même dans l’obscurité la plus complète, le désert le plus aride. La petite fille Espérance (Charles Péguy) permet de croire en des choses auxquelles les adultes ne croient plus. Ainsi c’est elle qui a permis de ne pas se démobiliser et de continuer le chemin. Personne n’y croyait sauf la petite fille Espérance qui habite le coeur des soeurs. 

 

A ce jour, l’histoire n’est pas finie.

Le sera-t-elle jamais ? Je ne crois pas car toute aventure humaine ne finit jamais. En se transmettant, elle se transforme, trouve son propre chemin. Comme disait Lavoisier : «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme». Donc, quelle sera-t-elle demain ? Qui sait ? Aujourd’hui, les pages sont blanches, un nouveau titre est né : contemplation à Ronchamp, c’est beaucoup moins sécurisant. Tant qu’on a un projet à réaliser, on sait où on va, même si on y va cahin-caha. On a des fondations visibles. L’écriture de l’invisible ne s’appuie que sur la foi qui, par essence, n’a rien de matériel, rien de scientifique. La contemplation de l’invisible respire au souffle de la brise légère de l’Esprit. Elle nous fait comprendre que Dieu n’intervient pas dans l’histoire de l’homme par la violence, mais par la douceur, l’humilité, la discrétion, en s’appropriant la phrase du poète Hölderlin : «Dieu crée l’homme, comme la mer fait les continents, en se retirant». Grâce à ce souffle, cette brise légère qui installe en nos coeurs la petite fille Espérance, nous pouvons nous en-gager sur le chemin de l’avenir avec la sérénité, la joie, la liberté du travail accompli. 

 

Comment l’architecte vit-il cette nouvelle aventure ? Parfois je me de-mande si un architecte vit réellement des moments d’apaisement, de sérénité. Une oeuvre n’est jamais achevée. Comme le peintre dont le pinceau modifie le tableau tant qu’il est sur le chevalet, l’architecte ap-porte touches et retouches à son oeuvre. Il n’en est jamais réellement satisfait. Il me semble que l’architecte a une certaine tendance au per-fectionnisme. Et en même temps, ce perfectionnisme nous montre combien une oeuvre architecturale, c’est vivant et c’est fait pour les vi-vants. Elle n’est pas figée un jour du temps de manière hiératique, sta-tique, coulée dans le béton, même si elle est faite béton ! 

 

Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles l’architecte et le contemplatif s’entendent bien et peuvent se rejoindre : l’architecture, comme la foi, n’est pas figée, mais toujours en mouvement pour le service de l’homme. Alors peut-être qu’en architecture on parlera d’humanisme, et en foi chrétienne, de solidarité, de fraternité et de charité. Mais peu importe les mots. La réalité, c’est toujours cette ouverture à l’autre, qu’elle soit visible ou invisible. 

 

Pour conclure, deux mots : Nous commençons !

Nous entrons dans le vif du sujet : Proposer la beauté, silencieuse, comme une carte, un itinéraire, un GPS au chercheur de sens, au chercheur de Dieu.

Alors nous souhaitons longue vie à cette beauté que nous recevons comme un cadeau des hommes, un cadeau de Dieu. 

 

soeur Brigitte de Singly

Ronchamp, le 17 novembre 2013

 
Dernière modification : 11/03/2014